Malavoune Tango
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"Malavoune Tango" de Jean-Marc Lacaze, 52', 2017, Production En Quête Prod/Les Films de la Caravane
(Catalogue)
À Mayotte, la seule île restée française de l’archipel des Comores, un groupe de jeunes affectionne et élève des chiens. Entre débrouilles et petits larcins, Chef, Flamsy et Mopé s’émancipent d’une société musulmane où leurs compagnons sont considérés comme impurs.
Résumé
À Mayotte, la seule île restée française de l’archipel des Comores, un groupe de jeunes affectionne et élève des chiens. Entre débrouilles et petits larcins, Chef, Flamsy et Mopé s’émancipent d’une société musulmane où leurs compagnons sont considérés comme impurs. Ces relations entre l’homme et l’animal mettent en relief une société mahoraise tiraillée, entre culture comorienne et culture d’État français, dans un territoire où insécurité et abus sociaux se conjuguent à la clandestinité. Du ghetto à la « malavoune », le chien se révèle alors comme la métaphore d’une errance identitaire.
Intention du réalisateur
Mayotte est une île étrange et pesante. A la fois connue pour son récif, son lagon, ses richesses sous-marines, mais aussi redoutée pour son climat social et son histoire controversée.
L’île est un territoire en souffrance, où fonctionnariat, migration clandestine, explosion démographique, abus de pouvoir, exploitation de la misère et « drogue du pauvre » en font un cocktail explosif latent.
Durant mes premiers séjours à Mayotte, je remarque que les chiens ne cherchent pas à se nourrir dans les nombreux tas d’ordures qui jalonnent, ici et là, les rues. Cela me surprend. J’interroge les gens. Ils me répondent qu’ils se cachent, car les enfants les maltraitent. Mayotte est à 90% musulman et, dans cette religion, le chien est un élément haram (illicite). Il est impur. On me conseille d’aller voir du coté de la malavoune (forêt tropicale) où les enfants les cachent. Ils les attachent aux arbres la journée pour les libérer le soir.
Cela me choque et m’interpelle. Les enfants les maltraitent, ils les cachent puis les libèrent. Ce ne sera là qu’une des nombreuses contradictions de Mayotte qui se révèleront à moi.
Le chien me semble alors incarner ce bouc émissaire, que les enfants s’octroient pour évoquer leur souffrance due à l’expulsion de leurs parents, venus des Comores clandestinement, les abandonnant sur l’île de Mayotte, en espérant revenir. La nécessité d’un film documentaire nait à ce moment là.
A travers cette première image controversée du chien dans la culture mahoraise, impur pour certain, protecteur pour d’autre, c’est une schizophrénie sociale qui se dévoile: départementalisation accélérée, grands relents de colonialisme, prime pour l’emploi, vie chère, misère sociale, esclavagisme moderne entre mahorais et cousins comoriens, milices populaires violentant les clandestins...
Plus j’arpentais l’île, plus la figure du chien errant m’intriguait et créait du sens, comme une allégorie pouvant évoquer les contradictions et difficultés vécues par la population locale. Le chien étant un des compagnons privilégié de l’homme, de part sa présence sur l’île et la volonté des hommes de le dissimuler, de l’utiliser ou d’en abuser, il devenait un élément révélateur.
Le chien représente un prisme mettant en relief les incohérences et les dérives qui sont en jeu à Mayotte. L’idée d’un parti pris tranché s’imposait. C’est par l’animal que nous apprivoisons l’homme et son contexte. Car c’est bien l’homme qui est au centre de mes préoccupations. En auscultant la jeunesse à travers son rapport aux canidés, c’est l’avenir socio-culturel de Mayotte et de son relationnel à l’autre que l’on interroge.
En évoquant la violence faites aux chiens et le chien comme arme de violence, le film, par glissements successifs, peut témoigner d’une escalade où chacun cherche à se défendre dans une société qui devient quasiment incontrôlable.
Enoncer le chien comme objet cinématographique, c’est me permettre de rendre compte d’un ensemble de réalités que je ne peux pas aborder frontalement. En cultivant le motif du chien, son contexte et sa relation à l’homme, il s’agit de prendre la réalité de biais.